Un marché en mutation, un profil d’acquéreur qui évolue
Le Baromètre 2024 de la Fédération des notaires de Belgique (Fednot), publié en mai 2025, révèle une évolution sociétale marquée : les personnes seules, et en particulier les jeunes célibataires, prennent une place croissante dans le paysage immobilier. En 2024, 58 % des appartements vendus en Belgique ont été achetés par des célibataires, contre 55 % en 2019. Cette progression de trois points s’inscrit dans une tendance structurelle qui questionne les pratiques, les conseils et les anticipations du notariat.
Cette mutation du profil des acheteurs ne se limite pas aux chiffres : elle reflète l’essor des ménages unipersonnels, les nouvelles dynamiques générationnelles et les tensions croissantes sur le marché immobilier. Pour les notaires, il s'agit d’un signal fort : les actes, les conseils patrimoniaux et les stratégies successorales doivent désormais tenir compte d'une typologie d'acquéreur plus autonome, parfois vulnérable, et aux perspectives patrimoniales spécifiques.
Un marché porté par les jeunes célibataires : état des lieux chiffré
D’après le baromètre Fednot, les jeunes acheteurs de 26 à 30 ans représentent désormais 24 % des acquisitions d'appartements. Ce chiffre grimpe à 30 % dans les grandes villes universitaires telles que Gand, Liège ou Louvain. Pour les maisons, leur part reste plus faible (19 %), traduisant un arbitrage financier clair.
Le profil-type de l’acheteur 2024 se dessine :
- Personne seule, entre 25 et 35 ans ;
- Souvent primo-acquéreur bénéficiant d’un coup de pouce parental, soit via une donation, soit sous forme d’un prêt intrafamilial ;
- Résidant en milieu urbain ou périurbain, privilégiant les petites surfaces bien situées et peu énergivores.
Cette réalité s’inscrit dans un contexte socio-économique plus large :
- La proportion de ménages unipersonnels atteint désormais 36 % en Belgique, selon Statbel ;
- Les appartements sont plus accessibles financièrement, avec un prix médian de 240 000 €, contre 315 000 € pour une maison【1】;
- Le taux d’intérêt fixe sur 20 ans, bien que remonté, reste perçu comme « acceptable » par une génération habituée à la flexibilité locative et aux charges de colocation.
Enjeux pratiques pour les études notariales : sécurisation et accompagnement individualisé
L’essor des acheteurs célibataires pose plusieurs défis spécifiques aux notaires, qui doivent adapter leur approche pour :
a. Garantir la sécurité juridique d’un achat isolé
Un acquéreur seul, même solvable, court davantage de risques en cas d’aléas : perte d’emploi, maladie, séparation si l’achat est anticipé à deux, etc. Le notaire doit :
- Veiller à la robustesse du financement (clauses suspensives bien rédigées, analyse des sûretés).
- Sensibiliser à la constitution d’un pacte de vie ou d’un testament en cas de cohabitation future ou d’investissement à plusieurs.
b. Conseiller sur les droits d’enregistrement et les aides régionales
Plusieurs régions offrent des avantages fiscaux ciblés aux primo-acquéreurs, parfois majorés pour les personnes seules. Un conseil actualisé est crucial :
- Flandre : droits d’enregistrement réduits à 3 % pour la première habitation ;
- Wallonie : abattement jusqu’à 40 000 € si le prix reste sous 350 000 € ;
- Bruxelles : abattement jusqu’à 200 000 €, soit 25 000 € d’économie.
c. Préparer la succession en l’absence de conjoint ou d’enfant
Le célibataire sans descendance directe est souvent peu sensibilisé aux conséquences successorales de son patrimoine :
- En l’absence de testament, les biens reviennent aux parents ou frères et sœurs, parfois éloignés géographiquement ou affectivement ;
- Le taux de droits de succession peut grimper à 30 %, voire 55 % en ligne collatérale ;
- Une planification anticipée via testament, donation ou assurance-vie peut s’avérer judicieuse.
Mise en perspective européenne : un phénomène partagé, des réponses divergentes
La progression des acheteurs célibataires n’est pas une spécificité belge. En France, l’Observatoire du Crédit Logement constate qu’en 2023, 43 % des acquéreurs étaient des personnes seules, avec une surreprésentation dans les grandes métropoles comme Paris, Lyon ou Bordeaux. Toutefois, la fiscalité française des successions, plus favorable dans certaines situations (abattement de 100 000 € en ligne directe), limite l’urgence d’une planification successorale.
Aux Pays-Bas, la montée des acheteurs isolés s’accompagne d’un fort soutien public : hypothèques plus flexibles, primes aux primo-acquéreurs, et incitations à l’achat pour les jeunes. La structure juridique simplifiée (pas de régime matrimonial par défaut) et une culture de l’autonomie contractuelle renforcent la lisibilité pour les célibataires.
En Allemagne, le taux de propriété reste historiquement bas, notamment chez les jeunes. Les acheteurs célibataires sont rares, mais lorsqu’ils investissent, c’est souvent dans des biens locatifs, dans une logique patrimoniale long terme. Les notaires allemands ont ainsi une fonction plus marquée de conseil économique, voire de structuration d’investissements en SCI (équivalent de nos sociétés patrimoniales).
Vers une nouvelle norme patrimoniale ?
La montée des célibataires dans les statistiques notariales ne doit pas être perçue comme une anomalie conjoncturelle, mais comme un signal structurel : les parcours résidentiels se diversifient, les modèles familiaux se fragmentent, et les aspirations individuelles prennent le pas sur les logiques conjugales traditionnelles.
Pour les études notariales, il s’agit de repenser l’accompagnement :
- Intégrer la logique patrimoniale du "solo-investisseur" ;
- Offrir des conseils proactifs et accessibles, adaptés à un public souvent moins informé mais très connecté ;
- Anticiper les enjeux successoraux et de protection, dans un contexte de solitude potentielle ou de recomposition future.
Le notariat belge est ainsi invité à se positionner comme acteur de sécurisation et de projection, capable de transformer une première acquisition en fondation patrimoniale durable.
Références
- Fednot, Baromètre des notaires 2024, www.notaire.be
- RTBF, Immobilier : de plus en plus de célibataires deviennent propriétaires, 23 avril 2024, rtbf.be
- Batibouw, Les célibataires de plus en plus actifs sur le marché immobilier, 2024, batibouw.com