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Vue rétrospective sur le pacte successoral global : pacification ou illusion d'équilibre ?

Introduction : la volonté de paix successorale peut-elle se formaliser ?

Instauré par la loi du 31 juillet 2017 et entré en vigueur le 1er septembre 2018, le pacte successoral global (art. 918/1 à 918/8 C. civ.) offre aux familles belges un instrument de stabilisation des donations passées, par l’adhésion anticipée des héritiers présomptifs à un équilibre jugé équitable. Derrière cette innovation, se dessine l’ambition d’une conciliation préventive, évitant les conflits successoraux par la transparence et le dialogue.

Cinq ans après sa mise en œuvre, que reste-t-il de cette ambition ? Dans les études notariales, le pacte suscite autant de promesses théoriques que de résistances pratiques. Cet article propose un bilan critique fondé sur la réalité des dossiers traités, les limites structurelles du cadre légal, et les pistes d’optimisation utiles à la profession.

1. Le pacte dans la pratique notariale : cas typiques, tensions et effets différés

Dans la majorité des cas observés, le pacte intervient en fin de parcours, lorsque les parents ont déjà réalisé l’essentiel des donations. Il devient un acte de validation a posteriori :

  • Familles à dons dissymétriques :
    Un enfant a reçu un immeuble, l’autre une somme ou un soutien informel (garantie bancaire, hébergement prolongé). Le pacte sert à neutraliser les litiges potentiels, mais souvent sans traiter la valeur subjective de ce qui a été donné.
  • Consentements sous pression douce :
    L’adhésion formelle des enfants ne signifie pas toujours assentiment réel. Certains pactes masquent des tensions non dites, avec un risque de revendication différée (influence d’un tiers, changement de circonstances, relecture d’un avocat externe).
  • Valorisations techniques discutables :
    La jurisprudence admet la liberté de méthode (valeur vénale, actualisation, coefficient affectif...), mais dans des patrimoines mixtes (titres, sociétés, biens à l’étranger), les bases de calcul peuvent prêter à litige, surtout si les experts mandatés ne sont pas indépendants.
  • Donations non déclarées ou grises :
    L'intégration dans le pacte de donations manuelles non enregistrées ou d’avantages indirects (ex. : clause bénéficiaire d’assurance-vie) peut exposer à un double risque : contestation successorale et requalification fiscale.
2. Limites techniques et flous juridiques du cadre légal actuel

Malgré la solidité du formalisme exigé (acte authentique, exposé complet, consentement éclairé), plusieurs zones de vulnérabilité persistent :

  • Rigidité temporelle :
    Le pacte est figé au jour de sa signature. Aucune faculté de révision n’est prévue. Or, les situations patrimoniales et familiales évoluent : nouvelle donation, conflit conjugal, accident de parcours, etc.
  • Faible lisibilité fiscale :
    Le pacte en lui-même n’entraîne pas de droits de donation ni de succession. Mais s’il acte une donation antérieure non enregistrée, ou s’il est considéré comme un élément probatoire d’une libéralité déguisée, il peut être brandi contre la famille par l’administration.
  • Effet psychologique ambivalent :
    Là où il veut rassurer, le pacte peut aussi geler les tensions sans les résoudre. Il ne traite pas les affects, les sentiments d’injustice, ou les dynamiques familiales profondes — domaines dans lesquels le notaire devient parfois un médiateur malgré lui.
3. Pratiques notariales recommandées et perspectives d’évolution

Pour dépasser ces limites, certaines stratégies notariales se dégagent dans les études les plus expérimentées :

  • Fractionner le processus :
    Proposer un pacte en deux temps : première phase descriptive (relevé des donations, intentions, évaluations), seconde phase conclusive à distance, permettant des consultations croisées et une maturation.
  • Annexer un rapport explicatif du notaire :
    Documenter l’origine des valeurs, les concessions faites, les objections entendues et résolues, dans un souci de traçabilité.
  • Travailler en tandem avec fiscalistes et experts :
    S’assurer que les valorisations, notamment immobilières ou sociétaires, soient cohérentes et défendables dans le temps.
  • Coupler le pacte avec des testaments et pactes de préférence :
    Intégrer le pacte dans une planification patrimoniale élargie, combinant instruments de protection du survivant, équilibres intergénérationnels, et neutralisation de contentieux futurs.
4. Ouverture comparative : le pacte global belge face aux modèles européens

Alors que le pacte global belge fait figure d’exception, d’autres pays européens ont développé des dispositifs partiels ou alternatifs : Erbverträge allemands, family settlements britanniques, pactos sucesorios espagnols, ou encore partenariats successoraux aux Pays-Bas.

Ces instruments obéissent à des logiques variées (renonciation anticipée, transmission croisée, partage d’entreprise familiale), mais soulèvent les mêmes tensions : sécuriser sans figer, équilibrer sans contraindre, formaliser sans dénaturer.

👉 Un prochain article viendra explorer ces outils étrangers, pour nourrir une réflexion doctrinale comparative et interroger l’exportabilité de certains modèles en Belgique.

Conclusion : formaliser l’équité sans la figer, accompagner sans imposer

Le pacte successoral global a indéniablement apporté une avancée en matière de paix successorale anticipée. Mais son plein potentiel reste tributaire de trois conditions cumulatives : un accompagnement notarial exigeant, un dialogue familial sincère, et une intégration dans une architecture patrimoniale cohérente.

Le notariat belge est désormais appelé à franchir une étape supplémentaire : non seulement appliquer la norme, mais aussi l’enrichir par la pratique, la critiquer en conscience, et contribuer à son évolution. Dans cette optique, le pacte n’est pas une fin en soi, mais un levier de réflexion sur l’ensemble des outils disponibles pour penser la succession autrement.

Affaire Apollonia