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Démembrer un immeuble pour vendre un garage ? Quelle solution face au nouveau Code civil belge ?

Introduction 

Depuis la réforme du Livre 3 du Code civil, en vigueur depuis le 1er septembre 2021, la manière dont les droits réels peuvent être créés ou divisés a été fondamentalement revue. La situation analysée ici illustre concrètement les limites et les possibilités qu’offre cette nouvelle législation. Il s’agit de savoir s’il est juridiquement possible de vendre le garage d’une maison A pour le rattacher à une maison B, dans un ensemble de deux maisons appartenant à un même propriétaire. Cette analyse pose la question centrale de l’autonomie juridique des volumes immobiliers au regard du principe de l’unité des droits réels.

1. Une opération de détachement confrontée aux nouvelles règles de droit réel

Depuis le 1er septembre 2021, toute opération visant à diviser un bien immobilier en plusieurs entités autonomes doit se conformer aux principes énoncés par le nouveau Livre 3 du Code civil. Ce cadre juridique rénové impose une approche rigoureuse de l’objet des droits réels, en particulier à travers le principe de l’unité et de la spécialité. En d'autres termes, un droit réel – tel que le droit de propriété – ne peut porter que sur un bien clairement délimité, incluant ce que la loi appelle ses « composantes inhérentes ».

Cette notion clé, introduite par l’article 3.8 du Code civil, désigne tout élément d’un bien immobilier qui en constitue une partie indispensable, soit sur le plan physique (ex. : un mur porteur), soit sur le plan fonctionnel (ex. : un garage intégré). Ces composantes ne peuvent, sauf exception légale, être séparées du bien principal sans en altérer l’intégrité.

Dans le cas présent, le projet vise à vendre la maison B en y rattachant le garage A, actuellement partie intégrante de la maison A. Or, ce garage, de par son intégration architecturale et utilitaire, est présumé être une composante inhérente de la maison A. Dès lors, il ne peut être isolément cédé ou grevé d’un droit réel distinct, à moins de recourir à l’une des exceptions prévues par la législation : notamment, la copropriété forcée ou la superficie.

Cette première contrainte, issue du droit positif actuel, constitue un verrou juridique fondamental pour toute tentative de démembrement immobilier partiel. Elle oblige à explorer les montages autorisés par la loi pour garantir la validité de l’opération projetée, sans risquer une requalification ou une nullité ultérieure.

2. La copropriété forcée : l’option de référence pour une division encadrée

Parmi les mécanismes juridiques permettant de séparer juridiquement un garage de son bâtiment d’origine, la copropriété forcée s’impose comme la solution la plus rigoureuse et la mieux adaptée au nouveau droit des biens. Cette figure, prévue par le Code civil, permet à plusieurs propriétaires de détenir des parties privatives (par exemple, un logement ou un garage) au sein d’un même ensemble immobilier, tout en partageant la propriété et la gestion des parties communes.

Dans le cas présent, recourir à la copropriété permettrait de structurer la scission entre la maison A (privée de son garage) et la maison B (à laquelle le garage serait désormais rattaché), sans violer les principes d’unité du droit de propriété. Le tout serait encadré par un acte de base, document juridique fondamental qui détermine les lots, leur consistance, leur usage, ainsi que les parties communes (murs mitoyens, installations techniques, accès, etc.) et les règles de fonctionnement de la copropriété.

Cet acte de base constitue l’outil-clé pour prévenir les conflits futurs : il fixe les droits et devoirs de chaque copropriétaire, les modalités de répartition des charges, les responsabilités en cas de travaux ou de sinistre, et même les règles de majorité pour la prise de décisions. Il permet également d’anticiper les problématiques assurantielles : par exemple, en cas d’incendie affectant le garage, qui percevrait l’indemnité ? Le garage devrait-il être reconstruit ? À qui incomberaient les frais ?

Enfin, la copropriété forcée permet d’appréhender de manière fine toutes les interactions techniques entre les deux lots : présence d’un système électrique commun, canalisations traversant les unités, isolation acoustique ou thermique, étanchéité, esthétique de la façade, etc. Chaque point de contact peut être traité de manière transparente dans le règlement de copropriété.

En optant pour ce montage juridique, on se place dans le respect des exigences légales tout en dotant les futurs copropriétaires d’un cadre clair, durable et évolutif. C’est une solution proactive, loin des bricolages juridiques hasardeux.

3. La superficie en volumes : une solution séduisante sur le papier, mais juridiquement fragile

À première vue, le recours à un droit de superficie en volumes pourrait sembler une alternative souple pour détacher le garage de la maison A et l’attribuer à la maison B. Le mécanisme, tel que défini par l’article 3.177 du Code civil, permet en effet d’attribuer la propriété d’un volume bâti (ou à bâtir) situé sur, sous ou au-dessus d’un autre fonds, sans devoir recourir à une copropriété. Ce droit réel d’usage autorise ainsi une dissociation spatiale des constructions, utile dans certains montages complexes comme les centres commerciaux ou les immeubles mixtes.

En principe, ce droit de superficie est limité dans le temps, avec une durée maximale de 99 ans. Toutefois, la réforme du Code civil prévoit une exception importante : dans certains cas spécifiques, la superficie peut être constituée à titre perpétuel. Pour cela, plusieurs conditions cumulatives doivent être réunies : les volumes doivent être autonomes tant sur le plan structurel que fonctionnel, ils doivent avoir des affectations différentes (par exemple, un usage résidentiel et un usage commercial), et il ne doit exister aucune partie commune entre eux. Autrement dit, chaque volume doit pouvoir exister et fonctionner indépendamment.

Dans le dossier qui nous occupe, ces conditions semblent difficilement atteignables. D’une part, les deux maisons en question partagent une même vocation résidentielle, ce qui empêche de justifier une divergence d’affectation. D’autre part, il existe des interfaces physiques (murs, installations techniques, accès, etc.) entre le garage et la maison A qui rendent discutable leur autonomie réelle.

Plus encore, le recours à la superficie dans cette configuration pourrait être perçu comme une tentative de contourner le régime impératif de la copropriété forcée. Or, les travaux parlementaires sont explicites : une telle manœuvre peut être requalifiée en fraude à la loi, notamment si la superficie est utilisée pour éluder des obligations imposées par le Code civil (par exemple : créer artificiellement une séparation entre des biens qui forment, en réalité, un tout fonctionnel). Cette requalification pourrait entraîner la nullité de l’opération, voire engager la responsabilité du notaire rédacteur.

En somme, bien que séduisante pour sa flexibilité apparente, la superficie volumière présente ici trop d’incertitudes et de risques pour être recommandée. Elle peut constituer une solution d’exception dans des projets immobiliers complexes, mais ne saurait remplacer une copropriété lorsque les conditions structurelles et juridiques de celle-ci sont manifestement réunies.

4. La servitude de surplomb : un outil inadapté aux transferts de volumes importants

La servitude de surplomb est une figure juridique bien connue du droit des biens, qui permet à une construction d’empiéter en hauteur sur le fonds voisin, sans pour autant le toucher au sol. Typiquement, il s’agit d’un balcon, d’un auvent, d’une corniche ou encore d’une gouttière qui dépasse légèrement la limite de propriété, sans emprise au sol. Le nouveau Code civil, à travers son article 3.62, maintient la validité de ce type de servitude, pour autant qu’elle repose sur un titre valide (contrat, acte notarié, prescription acquisitive) et respecte certaines conditions.

Mais pour qu’une servitude de surplomb soit licite, elle doit répondre à un critère fondamental : le lien d’accessorité. Cela signifie que l’élément qui déborde – en l’occurrence, le garage – doit constituer une simple annexe du bâtiment principal situé sur le fonds dominant, c’est-à-dire ici la maison B. Ce surplomb ne peut donc être ni autonome, ni substantiel, ni dissocié de la construction principale. Il doit rester secondaire, tant sur le plan structurel que fonctionnel.

Or, dans le cas à l’étude, cette condition fait clairement défaut. Le garage concerné n’est pas une excroissance marginale ou décorative : il s’agit d’un volume fermé, construit en façade avant, qui représente une part significative de la maison A. Il est complet, autonome, et susceptible de remplir une fonction principale (stationnement, stockage, voire extension d’habitat). Il est donc impossible de le considérer comme une simple dépendance ou un accessoire au sens juridique.

Dès lors, tenter de faire reposer l’opération sur une servitude de surplomb serait une construction artificielle, inapte à fonder un transfert valable de propriété. Pire encore, cela pourrait exposer les parties à une remise en cause ultérieure, tant sur le plan juridique que fiscal. La jurisprudence, notamment celle de la Cour de cassation, est claire sur ce point : lorsque la construction dépasse un simple débordement et qu’elle perd tout lien de dépendance avec le bâtiment du fonds dominant, la servitude ne peut pas être retenue.

En résumé, si la servitude de surplomb peut ponctuellement permettre de régulariser de petits empiètements, elle ne peut en aucun cas servir de fondement juridique pour transférer un volume autonome et essentiel comme un garage. Le risque de requalification est ici manifeste.

5. L’empiètement : un mécanisme résiduel, inadapté aux détachements immobiliers complets

L’article 3.62 du Code civil, dans sa version rénovée, encadre strictement la notion d’empiètement. Il vise les hypothèses où un ouvrage (bâtiment, extension, structure) est érigé en partie sur, sous ou au-dessus du fonds voisin. La loi distingue ici l’empiètement autorisé, fondé sur un titre ou une prescription, et l’empiètement illicite, que le voisin est en droit de faire cesser.

Dans sa philosophie, cette disposition s’adresse à des situations très particulières, souvent accidentelles, dans lesquelles une construction dépasse légèrement les limites de la parcelle en raison d’une erreur de mesure ou d’implantation. On pense par exemple à une cave dont un coin déborde chez le voisin, à une avancée de toiture, ou à une paroi mitoyenne empiétant de quelques centimètres.

La jurisprudence et la doctrine sont concordantes : pour qu’un empiètement soit tolérable juridiquement, il doit rester partiel, marginal, et structurellement secondaire. Il s’agit d’un outil correctif, voire d’un filet de sécurité, pour régulariser des situations exceptionnelles sans devoir démolir pour quelques centimètres mal placés.

Dans le cas présent, l’opération envisagée va bien au-delà. Il ne s’agit pas d’un débordement accidentel ou partiel, mais d’un détachement complet et volontaire d’un volume immobilier indépendant – le garage – pour le rattacher à un autre bâtiment. Cette démarche implique une recomposition du droit de propriété, et non un simple ajustement des limites. Elle ne relève donc pas de l’empiètement, mais bien d’une scission immobilière nécessitant un cadre juridique structurant (comme la copropriété ou la superficie).

Par ailleurs, tenter d’utiliser la notion d’empiètement pour contourner les régimes prévus par la loi pourrait être interprété comme une manœuvre de contournement, exposant les parties à une insécurité juridique importante. En effet, le garage, en tant que composante fonctionnelle complète d’un bâtiment, ne peut être considéré comme un simple « débordement ». Il est trop volumineux, trop autonome, et trop significatif pour que cette figure s’applique.

En définitive, l’empiètement n’est pas une solution envisageable ici. Il s’agit d’un mécanisme ponctuel, à utiliser avec mesure et prudence, dans des cas d’erreurs marginales. L’enjeu en présence relève d’une opération structurée, nécessitant une solution juridique de fond, à la hauteur des exigences du nouveau droit des biens.

Conclusion : Sécuriser la scission immobilière dans le respect du droit réel contemporain

La tentative de dissocier un garage de la maison à laquelle il est rattaché, pour le vendre avec une autre unité d’habitation, constitue une opération délicate à l’aune du nouveau Code civil belge. L’étude des figures juridiques disponibles – copropriété, superficie, servitude, empiètement – révèle que seule la copropriété forcée, mise en place via un acte de base rigoureusement rédigé, offre un cadre conforme, durable et sécurisé pour structurer cette scission.

Les autres voies explorées se heurtent à des limites évidentes. La superficie volumière, bien qu’ingénieuse, ne remplit pas les conditions d’autonomie et de diversité fonctionnelle dans le cas présent. La servitude de surplomb échoue sur le critère de l’accessorité. L’empiètement, quant à lui, est réservé aux erreurs marginales et ne peut servir de fondement à un transfert immobilier aussi structurant. Toutes ces options, si elles étaient choisies en dehors de leur champ naturel d’application, exposeraient les parties à des risques de requalification, de nullité des actes, voire à des litiges postérieurs, avec les conséquences patrimoniales et professionnelles que cela suppose – notamment pour le notaire instrumentant.

Dans ce contexte, le rôle du notaire ne se limite pas à la rédaction d’actes : il devient architecte de la sécurité juridique, garant de la conformité structurelle et fonctionnelle des droits réels créés. L’acte de base, en tant que document fondateur de la copropriété, n’est pas qu’un outil formel : il organise la vie future de l’immeuble, prévoit les modalités de gestion, définit les charges et responsabilités de chacun, et offre un cadre clair pour prévenir les conflits.

Plus que jamais, la prudence recommande de ne pas chercher à tordre les règles pour faire entrer une opération dans un moule inadapté. Le nouveau droit des biens impose de penser l’immobilier en système, en articulant les droits de manière cohérente avec les structures physiques et les usages réels. C’est dans cette cohérence que réside la sécurité.

Sources consultées et références légales

Cette analyse s’appuie sur les dispositions du Code civil belge, Livre 3 tel qu’introduit par la loi du 4 février 2021, entrée en vigueur le 1er septembre 2021, et plus particulièrement sur les articles suivants :

  • Article 3.8 : relatif aux principes d’unité et de spécialité des droits réels, et à la notion de composante inhérente.
  • Article 3.62 : concernant les empiètements, leurs conditions de validité et les droits du voisin.
  • Article 3.84 : encadrant les règles de la copropriété forcée.
  • Articles 3.116 à 3.118 : relatifs aux servitudes légales, notamment en lien avec les droits réels d’usage.
  • Articles 3.177 à 3.180 : portant sur le régime du droit de superficie, y compris sa durée et ses conditions de pérennisation.

Cette étude s’enrichit également des travaux parlementaires préparatoires de la réforme du Livre 3, qui éclairent l’intention du législateur, notamment sur les limites d’utilisation de la superficie en volumes et sur les risques de fraude à la loi.

Elle mobilise enfin des analyses doctrinales solides, issues d’auteurs de référence en droit des biens :

  • Vincent Sagaert, professeur de droit civil à la KU Leuven, spécialiste reconnu des droits réels et des montages immobiliers complexes.
  • Sylvain Mosselmans, à travers ses commentaires de jurisprudence sur la Cour de cassation (notamment l’arrêt du 3 avril 2009).
  • Sophie Bouly, pour ses exemples pratiques d’empiètement dans les montages transfrontaliers.
  • Ainsi que la jurisprudence constante de la Cour de cassation, notamment son arrêt du 29 octobre 1959 sur les servitudes exclusives.


Cet article a été écrit par Stéphane Detienne, juriste notarial spécialisé

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