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Le nouveau cadre européen sur la santé des sols

6 octobre 2025 par
Le nouveau cadre européen sur la santé des sols
NISABA SRL, Stéphane DETIENNE

I. La directive européenne du 29 septembre 2029 relative à la surveillance et à la résilience des sols 

 

A. Finalités et principes directeurs

La directive adoptée par le Conseil de l’Union européenne en septembre 2025 constitue une avancée normative majeure. Jusqu’ici, le droit européen traitait les sols de manière indirecte, via la politique agricole, la gestion de l’eau ou le climat. Désormais, un cadre juridique horizontal s’impose à l’ensemble des États membres.

L’innovation principale réside dans la définition normative de la « santé des sols », introduite dès la proposition de la Commission en juillet 2023 (COM(2023)416) :

  • critères physiques (structure, perméabilité, stabilité),
  • critères chimiques (polluants, nutriments, teneur en carbone),
  • critères biologiques (activité microbienne, biodiversité).

Cette grille commune permettra d’harmoniser les diagnostics et de comparer les situations régionales. Pour le notariat, cela signifie que les certificats ou reconnaissances de sol délivrés en Belgique devront progressivement refléter ces indicateurs européens, au-delà des seuils actuellement fixés par les décrets régionaux.

Enfin, la directive s’inscrit dans un système d’interactions : directive-cadre sur l’eau, directive inondations et règlements climat. Les sols sont appréhendés comme un capital naturel transversal, dont la préservation a des incidences sur la valeur juridique et économique des biens immobiliers.

B. Obligations des États membres

Chaque État devra mettre en place un schéma national de surveillance des sols. Celui-ci comportera :

  • un réseau d’échantillonnage,
  • des analyses périodiques sur des paramètres harmonisés,
  • un rapportage standardisé auprès de l’Observatoire européen des sols (EUSO).

Trois obligations nouvelles sont particulièrement significatives pour les transactions immobilières :

  1. Identification systématique des sites potentiellement contaminés, sur base d’activités industrielles ou polluantes passées.
  2. Création d’un registre public recensant ces sites, accessible à tout intéressé.
  3. Suivi spécifique de l’artificialisation et de l’imperméabilisation des sols, avec objectifs de réduction et rapportage.

Ces mesures confirment un basculement vers une approche préventive et intégrée : on ne se limite plus à assainir les sols pollués, on veille en amont à limiter l’artificialisation et à informer les acteurs du marché foncier. Pour le notaire, cela préfigure un contrôle renforcé et systématique des registres environnementaux avant tout transfert de propriété.

C. Gouvernance et calendrier

Le processus législatif s’est étalé sur deux ans :

  • Proposition de la Commission (COM(2023)416) en juillet 2023.
  • Négociations au Parlement et au Conseil en 2024-2025.
  • Accord politique en trilogue le 10 avril 2025.
  • Adoption formelle par le Conseil le 29 septembre 2025.
  • Vote final en plénière du Parlement attendu en octobre 2025.

La directive entrera en vigueur après publication au Journal officiel de l’Union européenne. Comme pour la plupart des directives environnementales, un délai de transposition de deux ans est prévu, ce qui laisse aux États membres — et, en Belgique, à chaque Région compétente — jusqu’en 2027 environ pour adapter leur droit interne.

Pour les études notariales, cette échéance n’est pas lointaine : dès à présent, il faut anticiper l’évolution des certificats et registres régionaux, qui devront être rendus interopérables avec le système européen.


II. Les enjeux pratiques pour la profession notariale en Belgique

La directive européenne ne s’adresse pas directement aux notaires : elle impose des obligations aux États membres et, en Belgique, aux Régions compétentes. Mais ses effets irrigueront chaque transaction immobilière par le biais des certificats, registres et obligations d’information. Pour l’étude notariale, la vigilance environnementale devient un réflexe aussi central que la vérification cadastrale ou urbanistique.

A. Sécurisation des transactions immobilières

Le premier enjeu est la vérification systématique de l’état du sol. Ce contrôle, déjà ancré dans la pratique régionale, sera renforcé par l’harmonisation européenne.

  • En Flandre : le notaire doit solliciter le bodemattest auprès de l’OVAM. Ce document obligatoire informe sur l’état du sol et mentionne l’éventuelle nécessité d’études ou d’assainissement.
  • En Wallonie : il s’agit du certificat de contrôle du sol (CCS), issu de la BDES. Un extrait conforme peut également être requis pour compléter le dossier.
  • À Bruxelles : le notaire doit obtenir l’attestation du sol auprès de l'IBGE et, si la parcelle est inscrite à l’inventaire, vérifier la Reconnaissance de l’état du sol (RES), voire la présence d’une garantie financière lorsque le transfert a lieu avant assainissement.

Avec la directive, ces documents régionaux devront être adaptés aux critères européens, de sorte que leur contenu gagnera en homogénéité. Pour le notaire, l’acte de vente ne pourra être passé sans que ces documents aient été demandés, lus et compris. L’omission d’une telle vérification exposerait à une mise en cause pour manquement au devoir de conseil.

B. Information et conseil aux clients

La fonction notariale ne se limite pas à la collecte des documents : elle implique un devoir de pédagogie.

  • Vis-à-vis de l’acquéreur : expliquer qu’une inscription au registre peut restreindre l’usage du bien, nécessiter un assainissement ou influencer la valeur vénale.
  • Vis-à-vis du vendeur : rappeler l’obligation de transparence et l’importance d’engager, si nécessaire, des démarches préalables (étude, RES, assainissement).

La directive accentuera ce rôle d’explicateur : les registres seront publics, mais la lecture des données techniques (paramètres chimiques, biologiques, classification de risque) restera ardue pour un profane. Le notaire deviendra l’interprète juridique de ces informations, afin d’éviter tout malentendu et litige postérieur.

C. Impact sur l’urbanisme et la constructibilité

En introduisant le suivi de l’artificialisation, la directive incite les États à limiter l’imperméabilisation des sols. Pour la pratique notariale, cela se traduira progressivement par :

  • des restrictions de constructibilité plus fréquentes dans les plans de secteur et schémas locaux,
  • l’apparition de conditions compensatoires (désimperméabilisation ailleurs, réaffectation de friches),
  • une valorisation accrue des terrains déjà urbanisés et assainis, au détriment de sols vierges sensibles.

Le notaire devra alerter promoteurs et particuliers sur ce contexte mouvant : un terrain « constructible » aujourd’hui pourrait se voir frappé demain de limitations nouvelles.

D. Responsabilité civile et disciplinaire

Avec la montée en puissance des obligations environnementales, la responsabilité du notaire sera scrutée à trois niveaux :

  1. Civile : indemnisation d’un acquéreur qui subirait un préjudice du fait d’une pollution non révélée.
  2. Disciplinaire : sanction ordinale en cas de manquement au devoir d’information.
  3. Pénale (rare, mais possible) : en cas de falsification ou de complicité de dissimulation.

La meilleure défense reste la traçabilité : mentionner explicitement dans l’acte l’attestation/certificat consulté, les éventuelles études, et les réserves émises.

E. Conséquences fiscales et patrimoniales

La pollution du sol influe directement sur la valeur vénale des biens :

  • une parcelle inscrite comme polluée peut être dévalorisée de façon substantielle, ce qui affecte la base de calcul des droits d’enregistrement et des droits de succession ;
  • les coûts d’assainissement peuvent être intégrés dans la négociation, impactant le prix déclaré ;
  • à terme, des mécanismes fiscaux incitatifs ou pénalisants (bonus/malus selon artificialisation ou dépollution) pourraient être introduits.

Le notaire, dans son rôle de conseiller patrimonial, doit intégrer ces paramètres dans ses recommandations, au même titre que la fiscalité immobilière et successorale classique.


III. Regards comparatifs : enseignements européens pour la pratique notariale

A. France — L’épreuve du ZAN et les registres pollution

Depuis la loi « Climat et Résilience » (2021), la France s’est fixé l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) à 2050, avec une réduction de moitié de la consommation d’espaces d’ici 2031. Cet objectif irrigue les documents d’urbanisme et se traduit déjà dans les contentieux d’aménagement.

Le notaire français doit, à chaque transaction, consulter les bases BASOL (sites pollués connus) et BASIAS (anciens sites industriels) et alerter l’acquéreur. La pratique belge rejoint ici la logique française : vérification documentaire préalable, mention expresse dans l’acte, conseil sur les restrictions d’usage.

B. Luxembourg — Vers une loi-cadre sur les sols

Le Grand-Duché a mis en place le CASIPO (cadastre des sites potentiellement pollués), base de données publique qui constitue l’équivalent luxembourgeois de la BDES wallonne ou du GIR flamand. Un projet de loi « Buedemschutzgesetz » est en préparation pour consolider la prévention, la surveillance et l’assainissement des sols.

Dans ce contexte, le notaire luxembourgeois adopte déjà les réflexes connus en Belgique : interroger la base de données, demander les certificats environnementaux, et sécuriser contractuellement la répartition des responsabilités d’assainissement.

C. Pays-Bas — Du droit sectoriel à la loi intégrée (Omgevingswet)

Aux Pays-Bas, la légendaire Wet bodembescherming (loi sur la protection des sols) reste d’application pour certaines pollutions historiques, mais depuis janvier 2024, la plupart des obligations ont été intégrées à la vaste Omgevingswet (loi-cadre de l’environnement et de l’aménagement).

Concrètement, toute déclaration ou permis lié à la contamination du sol passe désormais par l’Omgevingsloket (guichet numérique). La pratique néerlandaise illustre une tendance que l’on retrouvera demain dans l’UE : centraliser les procédures dans un guichet unique numérique. Pour un notaire, cela signifie une plus grande fluidité, mais aussi une dépendance aux mises à jour administratives.

D. Allemagne — La responsabilité élargie du BBodSchG

La Bundes-Bodenschutzgesetz (BBodSchG) et son règlement (BBodSchV) imposent la prévention et l’assainissement des sols. Particularité allemande : la responsabilité ne pèse pas seulement sur le pollueur, mais aussi sur le propriétaire et le détenteur du terrain.

Dans une transaction, un acquéreur peut donc se voir imposer une obligation d’assainissement, même sans faute. Pour le notaire, la conséquence est claire : les clauses contractuelles doivent être extrêmement précises, afin de répartir les risques et de prévoir garanties et sûretés.


Conclusion — Le notaire, pivot central de la transition foncière durable

La directive européenne sur la santé des sols (2025) n’est pas une révolution pour les notaires belges : elle prolonge et harmonise des pratiques déjà ancrées dans nos trois Régions (bodemattest flamand, CCS wallon, attestation/RES bruxelloise). Mais elle change d’échelle :

  • Interopérabilité : les registres régionaux devront communiquer avec l’Observatoire européen des sols, ce qui renforcera la transparence et la comparabilité.
  • Prévention : l’accent passe de la remédiation postérieure à la surveillance proactive et à la lutte contre l’artificialisation.
  • Sécurité juridique : la publicité environnementale deviendra une étape incontournable et uniformisée dans toute l’Union.

Pour les études notariales, trois priorités se dégagent :

  1. Standardiser la due diligence environnementale : demander systématiquement le document régional (bodemattest OVAM, BDES, IBGE, le lire, le comprendre et l’intégrer à l’acte.
  2. Informer et conseiller : expliquer aux parties les conséquences pratiques (restrictions d’usage, baisse de valeur, obligations d’assainissement).
  3. Sécuriser contractuellement : prévoir des clauses adaptées (déclarations et garanties, conditions suspensives, garanties financières).

En définitive, le notaire belge reste l'acteur pivot de la transition foncière durable : garant de la sécurité juridique, mais aussi conseiller stratégique face aux mutations environnementales et économiques. La directive ne fait que confirmer cette évolution : demain, la qualité d’un acte ne se mesurera plus seulement à la régularité urbanistique ou fiscale, mais aussi à la rigueur du contrôle environnemental qui l’aura précédé.

Le nouveau cadre européen sur la santé des sols
NISABA SRL, Stéphane DETIENNE 6 octobre 2025
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