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La loi Breyne en pratique

29 octobre 2025 par
La loi Breyne en pratique
NISABA SRL, Stéphane DETIENNE

Quatre cas pratiques fréquents


1. Une loi protectrice devenue un labyrinthe

C’est une loi ancienne — la loi du 9 juillet 1971, dite loi Breyne — mais toujours d’une brûlante actualité.

Elle a été pensée pour protéger le particulier qui achète un bien à construire ou en voie de construction. Son idée fondatrice : éviter que l’acheteur ne paie pour une maison qui n’existe pas encore, ou qui ne sera jamais terminée.

En théorie, tout est clair. En pratique, c’est une autre affaire.

Entre achèvement, habitabilité normale, versements anticipés, échanges terrain contre appartement, ou ventes scindées en plusieurs actes, les zones grises sont nombreuses.

Et c’est souvent au notaire qu’il revient de les démêler — d’expliquer, de prévenir, de refuser parfois.

L’article qui suit ne donne pas de leçon. Il cherche simplement à éclairer quatre situations récurrentes rencontrées dans les études, là où la loi Breyne devient une matière vivante, parfois imprévisible.


2. Le périmètre de la loi : un regard au bon moment

Avant d’entrer dans le détail, rappelons les conditions de base.

La loi Breyne s’applique lorsque :

  1. La convention porte sur la vente ou la construction d’un logement à construire ou en voie de construction ;
  2. L’immeuble est situé en Belgique et destiné à l’habitation, totale ou partielle ;
  3. L’acquéreur doit effectuer un ou plusieurs versements avant l’achèvement.

Tout se joue à un moment précis : le negotium, c’est-à-dire l’instant où les parties s’accordent sur la substance du contrat.

En clair, la loi s’apprécie au moment de la promesse ou du compromis, pas lors de la signature de l’acte authentique.

Et, parce que la loi est impérative, aucune clause ne peut en neutraliser l’effet — même si les parties s’en disent d’accord.


3. L’achèvement et la notion d’« habitabilité normale »

3.1. Le mot clé qui ne dit rien

La loi Breyne parle d’un bien « achevé », sans définir ce qu’est l’achèvement.

C’est la jurisprudence et la doctrine qui ont donné chair à cette notion :

"le bien est considéré achevé lorsqu’il est normalement habitable."

Et c’est cette « habitabilité normale » qui, paradoxalement, concentre toute la complexité.

3.2. Deux écoles

  • La lecture fonctionnelle, consacrée par la Cour de cassation : un bien est achevé lorsqu’il peut être occupé normalement, même si quelques finitions restent à exécuter.
    Ce qui compte, c’est la fonction — pouvoir habiter —, pas la perfection esthétique.
  • La lecture globale, défendue par une partie de la doctrine : l’achèvement suppose que tous les travaux prévus au contrat soient exécutés, y compris les parties communes indispensables à l’usage normal du logement (escaliers, ascenseurs, accès, réseaux). Un appartement n’est pas « habitable normalement » si l’immeuble reste impraticable.

3.3. Traduction pour la pratique notariale

L’habitabilité n’est pas un pourcentage de finitions. D'après nous, c'est plutôt un état d’usage, qu’on peut vérifier, de type  : les portes sont posées, le chauffage est fonctionnel, l'électricité et l'eau sont raccordées, les pièces sont closes et salubres, les accès sont sûrs.

Et surtout, les parties communes essentielles de l'immeuble sont achevées. En effet, nous sommes d'avis, comme plusieurs auteurs, qu'un lot privatif parfait mais enfermé dans un chantier reste, juridiquement, inachevé

3.4. Effets juridiques

  • Le promoteur ne peut exiger le solde du prix qu’à l’achèvement, c’est-à-dire lorsque le logement est habitable // achevé.
  • L’acquéreur, lui, reste couvert par la garantie d’achèvement jusqu’à ce moment précis.
  • Le notaire, enfin, doit vérifier que l’appel de la dernière tranche repose sur un constat réel d’habitabilité, et non sur une définition contractuelle « arrangée ».


4. Les versements prohibés : un mot de trop peut coûter cher

4.1. Le principe

La loi interdit tout versement avant la signature du contrat définitif, et encadre strictement les paiements avant l’achèvement de la construction. 

Les échelonnements autorisés figurent à l’article 10.

Toute somme versée en dehors de ces jalons est, par principe, prohibée.

4.2. Le cas des « réservations » ou « options payantes »

La pratique a inventé des artifices : prix d’option, rémunération de réservation, acompte de blocage…

Tous posent problème.

La doctrine dominante estime que payer pour réserver un bien à construire revient à verser avant la conclusion du contrat, et tombe donc sous l’interdiction.

La seule exception tolérée : une indemnité en cas de non-levée d’option, mais celle-ci ne devient exigible que si l’option n’est pas levée, et jamais avant.

En d’autres mots : pas d’argent avant le contrat, sauf remboursement garanti ou séquestre neutre.

4.3. Qu’est-ce qu’un « versement » au sens de la loi ?

Trois définitions coexistent dans la littérature :

  1. Dès que l’acquéreur perd la maîtrise de ses fonds.
    Même si le compte est à son nom, s’il ne peut en disposer sans accord du promoteur, c’est un versement.
  2. Dès que le compte est ouvert au nom du vendeur ou d’un tiers.
    Si l’argent quitte la sphère de l’acquéreur, la loi s’applique.
  3. Seulement lorsqu’il entre dans le patrimoine du vendeur.
    Tant que les fonds restent séquestrés, sous contrôle d’un notaire, sans appropriation possible, il n’y a pas « versement ».
    C’est la position aujourd’hui la plus nuancée et la plus utilisée en pratique.

4.4. L’équilibre à tenir

Le notaire peut donc recevoir un séquestre avant la signature, à condition qu’il reste parfaitement neutre : c'est à dire, les fonds sont totalement indisponibles, il n'y a pas de transfert au vendeur et la libération ne peut se faire qu'uniquement sur présentation de pièces justifiant un jalon légal.

Toute autre forme — « acompte déguisé », « réservation symbolique », « dépôt de garantie libérable à la demande » — fait courir le risque de nullité de la convention (et de responsabilité civile et pénale, le cas échéant du notaire ayant "participé").


5. L’échange : "mon terrain contre un appartement dans la future copropriété"

5.1. Le scénario

Un propriétaire cède son terrain à un promoteur et recevra en contrepartie un appartement à construire sur ce même terrain, parmi d'autres appartements de la future copropriété à ériger.

L’opération semble équilibrée, mais elle place le particulier dans une position périlleuse : il perd la propriété de son terrain avant d’avoir reçu l’appartement promis. En cas de faillite du promoteur, le terrain se retrouve dans la masse faillie et, notre vendeur espérant un appartement, se retrouve... "sans rien" !

5.2. La logique protectrice

La doctrine et la jurisprudence récentes tendent à inclure ces échanges dans le champ de la loi Breyne. Le raisonnement est simple : même sans prix formellement exprimé en argent, il s’agit toujours d’un transfert de propriété d’un logement à construire, avec un "paiement" : le terrain en nature.

La loi s’applique donc mutatis mutandis : les mêmes garanties, les mêmes formes, les mêmes précautions.

5.3. La mise en œuvre pratique

  • Valoriser le terrain : il devient la « monnaie d’échange » et permet de reconstituer un échelonnement équivalent au paiement du prix.
  • Adapter les jalons : permis obtenu, gros œuvre fermé, techniques, réception provisoire, réception définitive.
  • Mettre en place les garanties :
    • garantie d’achèvement au profit du cédant ;
    • conditions suspensives (permis, financement, sûretés) ;
    • séquestre pour éviter le transfert anticipé.
  • Prévoir la rétrocession : en cas d’inexécution ou de faillite du promoteur,
    le terrain doit pouvoir revenir à son ancien propriétaire.

Ainsi, l’échange est traité comme une vente sous loi Breyne : la monnaie change mais la protection reste.


6. Les opérations scindées : quand la vente du terrain et le contrat de construction se séparent

6.1. Le cas classique

Deux contrats :

  • un acte de vente pour le terrain,
  • un contrat d’entreprise pour la construction.

La tentation : séparer les deux pour échapper à la loi Breyne.

Mais la frontière entre prudence fiscale et contournement est mince.

6.2. Deux approches

  • L’unité économique (vision protectrice) : si la vente et le contrat d’entreprise poursuivent un but unique, si les parties sont liées (mêmes actionnaires, promoteur et entrepreneur liés), ou si l’acheteur n’a pas de véritable liberté de choix,
    alors la loi Breyne s’applique à l’ensemble. La séparation en deux actes ne change rien.
  • La scission licite (vision plus libérale) : lorsque les deux conventions sont réellement indépendantes, la loi ne s’applique qu’au contrat d’entreprise.
    C’est possible, mais fragile : tout indice de coordination excessive peut renverser la lecture.

6.3. Conséquences pratiques

  • Si l’opération forme une entité économique unique, un seul acte regroupant la vente et le contrat d’entreprise est recommandé.
  • Si la scission est justifiée, les actes séparés sont admis, mais la prudence reste de mise : les assurances du notariat peuvent refuser leur couverture en cas de doute.

Le notaire doit donc cartographier les liens entre les intervenants, et, surtout, documenter son analyse : pourquoi deux actes ? pourquoi pas un seul ?

Cette traçabilité devient la meilleure défense en cas de contestation.


7. Le rôle du notaire : guide, garant et garde-fou

Le notaire n’est ni juge ni censeur, mais il est gardien d’équilibre. Dans les ventes sur plan et opérations Breyne, son rôle est double :

  1. Informer et prévenir : Expliquer la portée de la loi, traduire son jargon,
    alerter sur les conséquences d’une clause illicite ou d’un paiement anticipé.
  2. Vérifier et refuser si nécessaire : Si l’acte contient des dispositions contraires à une loi impérative ou susceptibles de tromper un tiers, le notaire doit refuser son concours. Ce n’est pas une option, mais une exigence légale et déontologique.

En ce sens, il exerce bien cette fonction de “justice préventive” évoquée dès la loi de Ventôse : celle de l’officier public qui empêche les différends avant qu’ils ne naissent.


8. En guise de boussole

La loi Breyne ne s’interprète pas seulement dans le Code : elle s’expérimente, chaque jour, dans la manière de sécuriser les projets immobiliers. De nombreux cas de jurisprudence l'ont illustrée à ce jour. 

Voici quelques repères simples aident à s’y retrouver :

  1. L’habitabilité normale est une condition fonctionnelle : on peut vivre dans le bien dans son sens large (la copropriété est donc également visée, salubre et habitable).
  2. Aucun versement anticipé, sauf un véritable mécanisme de séquestre neutre, sans transfert vers le patrimoine du promoteur.
  3. Un échange terrain ↔ appartement se traite comme une vente Breyne, avec garanties équivalentes.
  4. Scinder les actes n’efface pas la loi ; si l’ensemble forme une unité économique, la protection s’étend à tout.
  5. Documenter chaque choix : la mémoire du dossier est la meilleure défense du notaire.


9. En filigrane : la beauté d’un équilibre

La loi Breyne ne cherche pas à entraver. Elle veut que la promesse d’un logement futur reste une promesse tenue. Elle rappelle qu’entre la pierre et la parole, il faut un tiers qui veille — celui qui, sans juger, assure la clarté, la loyauté et la prudence : le notaire.


Sources indicatives

Textes légaux consolidés (loi du 9 juillet 1971), jurisprudence récente (Cour de cassation et juridictions du fond), rapports du Centre d’Études et de Législation (C.E.L.), doctrine notariale récente. 


Stéphane Detienne, master en droit, en notariat, en gestion fiscale

Juriste notarial et expert en droit immobilier notarial


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