A la recherche d’un équilibre entre réforme tarifaire et égalité constitutionnelle
Depuis le 1er janvier 2023, les tarifs notariaux applicables à l’achat d’un premier logement ont fait l’objet d’une réforme d’envergure en Belgique. À travers la loi du 22 novembre 2022, le législateur a introduit un tarif forfaitaire réduit pour les actes de vente portant sur des logements d’une valeur inférieure ou égale à 325 000 €. L’objectif : favoriser l’accès à la propriété pour les jeunes et les ménages précérisés.
Cependant, pour financer cette réduction, les études notariales ont dû renoncer à une partie de leurs honoraires. Un mécanisme de compensation était prévu via le Fonds de financement du notariat, mais il excluait explicitement les actes de vente inférieurs ou égaux à 60 000 €, considérés trop peu nombreux pour justifier une compensation.
Or, cette exclusion partielle, d’apparence technique, a récemment été partiellement annulée par la Cour constitutionnelle dans son arrêt n° 17/2025 du 6 février 2025. La juridiction a estimé que cette disposition violait les principes d’égalité et de non-discrimination garantis par les articles 10 et 11 de la Constitution.
« L’exclusion du remboursement pour les actes d’achat ≤ 60 000 € ne repose sur aucun critère objectif ni proportionné ; elle crée une différence de traitement injustifiée entre les notaires selon la localisation et le profil économique de leurs clients. » (Cour const., arrêt n° 17/2025, consid. B.10.9)
Analyse juridique : un déséquilibre injustifié
A. Le cadre légal : article 117 de la loi du 16 mars 1803 (modifiée)
La disposition critiquée était libellée comme suit avant sa correction par la loi du 28 mars 2024 :
« Aucune compensation n’est prévue pour les actes relatifs à un bien immeuble dont le prix de vente est inférieur ou égal à 60 000 euros. »
Cette clause excluait donc les ventes ≤ 60 000 € du champ d’indemnisation, sans distinguer les situations particulières. Or, certaines études en zones rurales enregistrent une proportion significative de ventes à très bas prix.
Le contrôle de proportionnalité exercé par la Cour
La Cour rappelle que le législateur dispose d’un pouvoir d’appréciation étendu en matière socio-économique. Toutefois, ce pouvoir n’est pas absolu : il doit respecter les principes d’égalité inscrits dans la Constitution.
« Il appartient au législateur de déterminer librement les modalités du financement d’une réforme tarifaire… Toutefois, l’exclusion automatique de certains actes sans justification suffisante viole les principes d’égalité et de non-discrimination. »
Le test de proportionnalité suivait une logique en trois temps :
- Objectif légitime : garantir l’équilibre financier du système.
- Lien raisonnable : les actes ≤ 60 000 € sont peu fréquents.
- Proportionnalité : impact disproportionné sur les études rurales.
« Même s’il s’agit de 0,386 % des ventes à l’échelle nationale, l’effet cumulé peut compromettre la rentabilité d’études isolées. »
L’annulation partielle et ses limites
L’arrêt annule uniquement les alinéas 3 et 4 du §3 de l’article 117, dans leur version antérieure au 8 avril 2024. Le reste de la disposition est confirmé.
« Les alinéas 3 et 4 de l’article 117, §3… sont annulés pour violation des articles 10 et 11 de la Constitution. Le surplus est rejeté. »
Cette annulation s’applique pour la période du 1er janvier 2023 au 7 avril 2024.
Une réalité numérique sous-estimée
A. Une catégorie marginale en apparence
« Pour l’année 2023, seulement 357 actes de vente concernaient des biens d’un montant inférieur ou égal à 60 000 euros. Cela représente à peine 0,386 % de l’ensemble des ventes enregistrées. »
B. Mais critique localement
Ces actes ont un poids beaucoup plus important dans certaines zones rurales. Ils peuvent constituer jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires pour certaines études, affectant directement leur équilibre financier.
Un arrêt structurant
A. Invalidité ciblée
La Cour valide le principe de solidarité et de forfaitisation, mais rejette l’exclusion rigide des actes < 60 000 € comme injustifiée. Elle rappelle que même une réforme sociale ne peut violer les droits fondamentaux d’une partie de la profession.
B. Référence jurisprudentielle
Étape | Évaluation |
---|---|
Objectif légitime | Oui |
Moyens adaptés | Non |
Nécessité | Non |
Proportionnalité | Non |
C. Portée concrète
Les études peuvent reconstituer les dossiers de 2023-2024 pour vérifier si une compensation partielle peut être réclamée ou valorisée en interne.
Conséquences pratiques et stratégiques
- Audit des actes concernés.
- Communication avec les chambres et Fednot.
- Intégration d’une clause de vigilance dans les futures réformes.
- Sensibilisation à l’impact des seuils arbitraires sur la viabilité des petites études.
Perspectives et recommandations
A. Anticiper l’égalité de traitement
L’affaire de l’article 117 illustre combien il est essentiel d’intégrer, dès la conception d’une réforme, une lecture fine des impacts territoriaux et professionnels. Ce cas montre que des seuils trop rigides, même apparemment mineurs, peuvent produire une discrimination indirecte.
B. Une analyse d’impact étendue et partagée
Avant d’adopter des réformes tarifaires ou compensatoires, il est crucial de :
- Conduire une analyse préalable par segment d’études (taille, localisation, volume).
- Simuler l’impact économique des modifications proposées.
- Prévoir un mécanisme de révision ou d’adaptation en cas de distorsion.
Conclusion
L’arrêt 17/2025 de la Cour constitutionnelle est bien plus qu’une décision technique. Il rappelle avec force que toute réforme, même animée d’une intention solidaire, doit respecter les droits fondamentaux des professionnels concernés.
Il plaide pour un notariat belge à la fois moderne et attentif à ses franges les plus vulnérables. Il offre aussi un modèle de rigueur pour les réformes à venir : ni dogmatisme comptable, ni simplification excessive, mais une approche juridique fondée sur l’équité concrète.
Pour les études concernées, c’est l’occasion de faire valoir leurs chiffres, leurs réalités, leurs contraintes. Pour Nisaba, c’est le moment de jouer un rôle actif de veille, de relais et de soutien dans l’émergence d’un notariat plus juste et plus stratégique.