L’Europe du droit de la famille en transition
Les 15 et 16 mai 2025, la ville de Varsovie a accueilli un séminaire européen de premier plan organisé par le Conseil des Notariats de l’Union Européenne (CNUE), en collaboration avec le Réseau Notarial Européen (ENN) et cofinancé par l’Union européenne. Cette rencontre s’inscrivait dans le cadre du projet "Justice sans litige" et portait principalement sur un sujet à la fois sensible et structurant : le divorce non judiciaire.
Alors que les juridictions familiales sont confrontées à des flux croissants de contentieux, plusieurs États membres testent ou mettent en œuvre des procédures alternatives, souvent portées par les notaires. Le séminaire de Varsovie a permis de dresser un état des lieux des pratiques, d’envisager des pistes d’harmonisation douce, et de poser les bases d’une doctrine commune au sein de l’espace européen.
Le divorce non judiciaire : cadre juridique européen
L’un des leviers majeurs pour légitimer ce mouvement réside dans le Règlement Bruxelles II ter, entré en vigueur en août 2022. Celui-ci consacre la reconnaissance mutuelle des actes de divorce dans l’Union européenne, à condition que ceux-ci soient établis par une autorité compétente, comme un notaire ou un officier d’état civil.
Dans ce cadre, le rôle du notaire prend une dimension nouvelle : il n’est plus seulement authentificateur de l’accord, mais peut devenir acteur central d’un processus de dissolution du mariage, à la fois garant de la légalité et médiateur entre les parties.
Toutefois, une telle évolution nécessite une base légale solide dans chaque État membre. Le règlement européen ne crée pas un droit matériel commun du divorce : il s’inscrit dans une logique de coordination. D’où l’importance de l’échange d’expériences entre notariats nationaux.
Pratiques nationales et innovations abordées à Varsovie
Durant le séminaire, plusieurs délégations ont partagé leurs pratiques ou leurs projets pilotes :
- 🇵🇱 Pologne : expérimentation locale d’une médiation notariale dans les cas de divorce à faible conflictualité. Le notaire intervient en soutien à la formalisation d’un accord pré-négocié entre les époux.
- 🇫🇷 France : depuis 2017, le divorce sans juge est possible par acte notarié, sous condition de l’assistance obligatoire de deux avocats (un par époux). L’acte est signé en étude et enregistré sans intervention judiciaire.
- 🇪🇸 Espagne : autorisation du divorce notarié pour les couples sans enfants mineurs, avec un encadrement strict des délais et du contenu de l’accord.
- 🇧🇪 Belgique : la proposition de divorce notarial déposée en 2022 n’a pas abouti, mais les échanges à Varsovie ont relancé le débat, notamment dans une perspective de simplification et de déjudiciarisation progressive.
Les discussions ont également porté sur des thématiques transversales :
- Le rôle du notaire dans l’accueil émotionnel du couple.
- L’interface entre notariat, avocature et justice.
- La digitalisation du processus (visioconférence, signature à distance).
- La sécurité juridique et l’archivage des actes dans un contexte transfrontalier.
Une opportunité pour la Belgique : l’heure de s’y préparer ?
La Belgique, bien que non dotée d’une procédure formelle de divorce notarial, est au cœur de la dynamique européenne. Le retour d’expérience de ses voisins et les recommandations du CNUE ouvrent une fenêtre stratégique pour anticiper.
La proposition de loi de 2022, bien qu’écartée, posait déjà les bases d’un divorce par acte notarié pour les couples sans enfants mineurs, assorti d’un délai de réflexion et d’une validation du SPF Justice. Cette logique pourrait ressurgir dans le prochain cycle législatif, d’autant que la charge sur les tribunaux de la famille reste forte.
Dans ce contexte, il est essentiel que les études notariales belges se préparent :
- En se formant aux modèles étrangers.
- En développant leurs compétences en droit familial et en médiation.
- En adaptant leurs processus internes à une possible formalisation du divorce.
Impacts opérationnels pour les études notariales
L’émergence du divorce notarial implique des mutations organisationnelles tangibles pour les études :
- Adaptation des compétences : les collaborateurs doivent renforcer leur maîtrise du droit des personnes, mais aussi acquérir une sensibilité à la gestion des émotions et à la médiation.
- Reconfiguration des pratiques : élaboration de modèles d’accords types, création de check-lists de conformité, interaction fluide avec les avocats.
- Veille sur les outils numériques : signature électronique, conservation sécurisée des actes, communication sécurisée avec les administrations.
- Veille réglementaire constante : suivi des évolutions européennes et nationales, intégration dans les concertations sectorielles (via Fednot, CNUE, etc.).
Vers une harmonisation douce du divorce notarial ?
Le séminaire de Varsovie témoigne d’un basculement progressif mais réel : celui d’une Europe où le divorce ne sera plus nécessairement synonyme de passage devant un juge. Dans cette transformation, le notaire apparaît comme un acteur de proximité, de confiance, et d’équilibre.
Pour la Belgique, il ne s’agit pas de copier un modèle, mais de préparer une voie adaptée à son propre écosystème juridique. Nisaba, par sa position d’interface entre pratique notariale et veille stratégique, est bien placée pour accompagner ce virage.
La question n’est plus « si », mais « quand ». Et ceux qui s’y préparent aujourd’hui seront les mieux armés demain.